Vivre sans eux (1)

Publié le par Plume

J'avais 26 ans quand la décision a été prise. Je n'en pouvais plus de mentir, de faire semblant aux yeux de tous que tout allait bien et que j'avais une famille "normale".

 Je suis partie pour refaire ma vie ailleurs. Après la maltraitance, je voulais en finir avec le chantage et les menaces: puisque là-bas on m'obligeait à faire croire que j'avais eu une enfance heureuse sous peine de vivre sans famille, j'allais vivre sans famille pour ne plus avoir à faire croire que rien ne s'était passé.

 Je me rappelle très clairement du jour de notre départ. On avait entassé tout ce qu'on avait pu dans cette petite camionnette rouge. Et tout ce qu'on avait pu, ça n'était pas grand chose. Le reste, on l'a laissé là, sur place, et je n'en ai plus jamais rien revu. Mon compagnon a fait le trajet dans la camionnette et moi j'ai pris le train. Le soir, je suis arrivée dans cette ville inconnue, dans ce grand appartement vide que nos quelques caisses ne parviendraient évidemment pas à remplir. 

Je me suis endormie seule et j'ai senti le grand froid de cette vie devant moi, que plus rien ne reliait aux attaches du passé. 

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Bien sûr, je persiste à penser que cette décision-là était la bonne. Ce n'est qu'à partir de là que j'ai pu reconstruire ma vie sur de nouvelles bases, positives et sereines, dans un univers qui n'était pas contaminé par le passé. J'ai pu me faire des amis à qui il ne fallait pas mentir et qui étaient capable de me soutenir autant que de m'apprendre à profiter de la vie. J'ai pu entamer une réelle démarche de soins et de thérapie. J'ai pu découvrir une autre face de l'existence, où j'étais entourée de bienveillance et de gentillesse, et où je pouvais enfin m'investir dans une vie à moi et pour moi, au lieu de continuer à être phagocytée par des gens qui me détruisaient.

Cette rupture a été pour moi le début de tout: le vrai début de ma vie de couple, la possibilité de construire une vie professionnelle, la mise sur pied de nouveaux projets... Tant que je vivais proche de ma famille maltraitante, je n'arrivais à rien faire de ma vie,  comme si j'étais totalement envahie encore et détruite par l'atmosphère malveillante qui y régnait. Tant que j'ai été là-bas, je m'enlisais dans le chômage et les échecs affectifs. Ce n'est qu'en me séparant d'eux que j'ai pris mon envol.

 Il m'est difficile de dire ce qui réellement me rongeait car, après un certain âge, les mauvais traitements en tant que tels avaient cessé. Le fait de devoir vivre dans le mensonge et de n'avoir aucun droit à une parole libre et vraie sur ma propre histoire m'empêchait de prendre du recul et de me reconstruire. Le fait de vivre encore en contact avec ceux qui m'avaient maltraitée, de les voir intervenir dans mon quotidien, se mêler de mes relations et de mes activités maintenait sur moi une emprise destructrice. Le fait de devoir continuer à participer à la vie de cette famille pesait d'un poids énorme sur mes épaules car l'agressivité et la méchanceté qui y régnaient mobilisaient toute mon énergie et ne m'en laissaient pas pour autre chose. Tout cela me mettait dans une situation trouble, où je me sentais engluée dans le marasme de ma famille et incapable de développer mon propre discours sur mon histoire, mes propres valeurs et mes propres projets.

Ils m'avaient menacée pendant tant d'années, disant que je serais incapable de vivre sans eux, que je serais incapable de gagner un salaire et de subvenir à mes besoins... Il m'était très difficile de croire à mes capacités et de m'arracher à ce milieu. D'autant que, comme je l'ai dit, tant que je suis restée proche d'eux, tout semblait leur donner raison: mon incapacité à trouver un emploi, mon incapacité à me stabiliser affectivement...

J'ai été très étonnée de découvrir, très rapidement après mon départ, combien ma vie s'est améliorée du fait de leur absence. Ma vie de couple est devenue beaucoup plus satisfaisante et plus sereine. J'ai trouvé du boulot assez rapidement alors que j'étais dans une ville que je ne connaissais guère. Les nouveaux amis rencontrés étaient des gens bienveillants et paisibles, qui facilitaient ma vie plutôt que de la compliquer. Ce renouveau de ma vie, dès que j'ai eu mis ma famille à distance m'a pleinement fait réaliser à quel point ma famille m'avait menti. 

Publié dans Cette histoire-là

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