Ce qui se passe dans l'esprit d'une mère maltraitante

Publié le par Plume

C'est une chanson d'Anne Sylvestre que j'aime beaucoup, même si elle est très triste, parce qu'elle me rappelle ma mère.

 

Rose, elle avait seize ans, c'était une gamine
Elle aimait s'amuser, n'y voyait pas de mal
(...)
Elle ne savait rien des envers de la fête
Elle couchait parfois, mais pour se réchauffer


 

 

Elle ne savait pas

Ma mère n'était pas une adolescente perturbée qui avait eu un enfant dans des circonstances difficiles. Pourtant, elle partageait avec la Rose de la chanson une fragilité psychique qui faisait qu'elle ne savait pas toute une série de choses qu'elle aurait dû savoir.

 

Ainsi, comme dans la chanson, ma mère ignorait tout des besoins d'un enfant. Elle était restée elle-même une sorte d'enfant.

 

Elle ne savait pas - et vous devez me croire - 

Qu'un enfant ça diffère un peu d'une poupée

Et quand elle sortait, elle avait en mémoire

Qu'il était dans sa boîte et qu'elle l'avait rangé

 

Dans le même temps, ma mère était institutrice. Elle avait à sa disposition des bouquins de pédagogie. Elle était entourée, encadrée: si elle ne savait pas, c'est qu'elle ne voulait pas savoir.

 

Elle a été abandonnée

Rose est abandonnée trois fois: par son petit ami, père de l'enfant, par ses propres parents et par la société qui n'intervient pas.

 

Ma mère aussi se vivait dans ce triple abandon. Abandon d'un mari lui-même maltraitant, abandon de ses propres parents et frères qui l'ont laissée à ce mari, abandon d'une société machiste qui prend toujours le parti des hommes. C'était du moins ainsi qu'elle présentait sa situation.

 

A cela, j'ai envie d'ajouter un quatrième abandon, invisible celui-là: ma mère s'est abandonnée elle-même. Elle n'a rien fait pour reprendre sa vie en main et pour s'en sortir.

 

Elle n'était pas responsable

Anne Sylvestre évoque l'idée d'une culpabilité sociale: le vrai responsable, ce serait cette société qui n'est pas intervenue et non cette jeune mère en difficulté.

 

Vous allez la juger du haut de votre tête
Monsieur le président et Messieurs de la cour
N'oubliez pas, surtout, qu'avec nous tous vous êtes
Coupables de silence et de manque d'amour

 

Dans cette chanson, on fait de Rose un être qui n'est responsable de rien de ce qui lui arrive. Elle semble victime de son petit ami, de ses parents et de la société qui aucun n'ont fait ce qu'il fallait.

 

De la même façon, ma mère ne se sentait responsable de rien: tout le mal qu'elle a fait, elle est prête à prétendre que, comme pour Rose, c'est la faute à la société qui ne l'a pas aidée ... et cela semblait l'autoriser à continuer sur la même voie, sans jamais se remettre en question.

 

Les limites de la comparaison

On peut peut-être considérer que Rose était une victime, telle que le présente Anne Sylvestre. Encore que je ne suis pas sûre d'être aujourd'hui encore en accord avec ça. Sans vouloir éluder la question de la responsabilité éducative, de la famille et de la société, dans des situations comme celle de Rose, je n'en pense pas moins qu'il faut rendre à chacun, même à une jeune fille en détresse, la possibilité d'être responsable de ses actes si on veut lui donner la possibilité d'évoluer et de grandir.

 

Mais en ce qui concerne ma mère, elle était une femme adulte, mariée avec un homme qu'elle avait choisi, mère à un âge où une femme est normalement consciente de la responsabilité qu'elle prend. Ma mère était diplômée, elle était socialement entourée ...

 

Si elle n'a pas su, c'est qu'elle n'a pas voulu savoir;

si elle s'est sentie abandonnée, c'est parce qu'elle n'a pas voulu saisir les perches qui se tendaient;

si elle se prétend "pas responsable", c'est parce qu'elle refusait d'assumer ses responsabilités.

 

Se faire passer pour victime

A la petite fille que j'étais, ma mère s'est unilatéralement présentée comme une victime. Et c'est tellement facile de se donner ce "beau rôle" face à un enfant. Une petite fille ne peut qu'aimer sa mère et vouloir la défendre contre le monde entier. 

 

C'est ce sentiment que ma mère avait suscité en moi. J'ai fondamentalement pris parti pour ma mère et reproché de la même façon à la société de ne pas l'avoir aidée, de ne pas l'avoir soutenue, de ne pas l'avoir soignée. Je n'ai compris que bien après mon entrée dans l'âge adulte qu'elle m'avait ainsi manipulée et mise à son service. Elle se disculpait ainsi de tous les actes de maltraitance qu'elle a commis à mon égard (et à l'égard de ses autres enfants).

 

Et pourtant cette chanson ...

J'ai beau avoir à présent un regard plus lucide sur le comportement et les motivations de ma mère, je continue à écouter cette chanson d'Anne Sylvestre avec autant d'émotion.

 

Je crois que j'y retrouve, décrite avec si peu de mots et tant de justesse, une part de ce qui se passait dans le cerveau malade de ma mère et aussi un peu du lien de solidarité qui, enfant, m'unissait à elle.

 

 

 

 

 


 

Publié dans Ça fait vivre …

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