Le travail c'est la santé (mentale)

Publié le par Plume

Dès mon arrivée au boulot, je plonge dans un univers où le temps n'existe plus. Réunions, appels téléphoniques, dossiers à clôturer, problèmes à résoudre, ... J'enchaîne les activités et je ne vois pas le temps passer. A peine, je réalise l'heure de la pause de midi et je mange sur le pouce pour ne pas perdre de temps. L'après-midi passe tout aussi vite et en règle générale, je quitte le bureau une bonne demi-heure après l'heure officielle de fin de journée.

 

Pourtant, je ne suis pas exploitée par un patron tyrannique. J'aime mon travail et au fil des années, j'ai appris à doser la juste proportion de (sur)investissement professionnel pour rester satisfaite de mon job et éviter le burnout. Parfois cependant, j'éprouve un regret: avoir laissé, depuis tant d'années, la part congrue à ma vie privée et me réaliser, quasi exclusivement, au travers de mon boulot laisse des manques sur le plan personnel.

 

Alors bien sûr, la grande question: pourquoi l'avoir fait?


 

Travailler pour oublier

Je ne me suis rendu compte que très récemment que je travaillais pour oublier, pour ne pas penser au passé, pour ne pas être assaillie par les vieilles angoisses du passé. Lorsque je travaille, mon corps et mon esprit sont pleinement investis dans la situation présente et c'est précisément ce que j'apprécie et qui me rend heureuse dans le travail: l'ici et maintenant occupe tout l'espace disponible et renvoie dans des tréfonds lointains le douloureux ailleurs et autrefois que fut mon enfance.

 

Je me suis d'ailleurs également rendu compte que, pour cette même raison, je suis une femme qui se "suractive": je suis à la recherche d'activités prenantes, à savoir des activités qui me mobilisent intellectuellement. Je lis, j'écris, je regarde des films, ... Et je crains par dessus tout les activités qui laissent mon esprit libre de vagabonder à sa guise, comme par exemple la vaisselle, la couture, la promenade, la méditation et toutes les activités contemplatives. Car si mon esprit est inoccupé, au lieu de papillonner entre des pensées sympathiques et divertissantes, il va rapidement se trouver accapparé et englué dans de noirs souvenirs et de lourdes angoisses.

 

Sur le court terme, c'est très désagréable. Ainsi, une soirée passée à des activités dites "délassantes" risque d'être une fort mauvaise soirée. Mais sur le long terme, ça peut s'avérer catastrophique: je suis convaincue que j'ai dû, à certaines périodes de ma vie, que je dois encore parfois, fuir dans une certaine forme d'activisme pour éviter d'être noyée dans la dépression. En somme, j'ai développé un activisme professionnel et intellectuel qui me permet de me protéger de l'envahissement par l'angoisse et la dépression.

 

Se reposer est dangereux

J'éprouve un tel besoin de fonctionner de cette façon que j'agis pareillement dans ma vie privée. J'éprouve, par exemple, une très grande difficulté à prendre des vacances. La solution que j'ai trouvée consiste à prendre des vacances ... pour travailler. Je vais faire du volontariat à l'étranger auprès d'association qui en ont besoin, je travaille pour mes propres projets que je développe en plus de ma vie professionnelle, ... Et j'éprouve une grande difficulté lors de vacances en couple ou avec des amis, lorsqu'il est prévu qu'une semaine entière (voire plus!) sera entièrement consacrée à se distraire et à s'amuser.

 

Ce que je recherche n'est pas tant le travail en tant que tel, mais une activité qui me mobilise suffisamment pour m'obliger à y être totalement engagée. Bien évidemment, j'ai des difficultés à trouver un équilibre avec des activités plus calmes, plus reposantes, qui me permettraient de me ressourcer et de me détendre. Jusqu'à un certain point, je vis dans une tension permanente qui ne s'arrête qu'au moment où je m'endors. Et le moment de s'endormir reste un moment difficile, où l'angoisse peut s'aventurer. Alors pour la conjurer, je vais dormir très tard, en étant très fatiguée, pour être certaine de m'écrouler immédiatement dans le sommeil.

 

Des résultats positifs

Evidemment, ce style de vie semble tout sauf équilibré. Et pourtant, dans mon cas, il a produit des résultats plutôt positifs. Mon entourage professionnel est fort satisfait de mon travail. Moi-même, je suis assez fière de mes réalisations et des projets que j'ai contribué à mettre sur pied, tant professionnellement que dans le cadre de mes loisirs. J'ai acquis des compétences nombreuses qui me donnent au fil des années de plus en plus de possibilités pour m'investir dans des projets variés et toujours intéressants. A vrai dire, ce style de vie est plutôt passionnant.

 

Et en plus, de cette façon, je gère mes angoisses et mes tendances à la dépression. Je parviens à rester quasi en permanence sur le côté positif et construit de ma personnalité, sans me laisser envahir par la part de moi-même détruite par la maltraitance et qui reste blessée et souffrante. En définitive, je suis assez satisfaite de ce mécanisme adaptatif, que je n'ai même pas eu besoin de trouver ou d'inventer car il s'est mis en place de lui-même, à mon plus grand insu. Quelle chance j'ai eu de pouvoir compter là dessus!

 

Aller plus loin que l'adaptatif

Et pourtant, j'ai envie d'aller plus loin. C'est une démarche qui a pris jour en moi il y a plusieurs années: j'ai eu peu à peu envie d'apprendre à me distraire, d'apprendre à me détendre, de devenir capable d'activités délassantes qui me laisseraient une certaine vacuité intellectuelle ... C'est comme un apprentissage. Il me faut apprendre à en faire moins, apprendre à laisser une place pour le repos, apprendre à laisser vagabonder mon esprit en apprivoisant l'angoisse pour qu'elle ne revienne pas au grand galop me gâcher ces moments-là. C'est un apprentissage qui demande de la vigilance et un goût de l'intériorité. 

 

En conclusion

J'imagine que je resterai avant tout une personne tournée vers l'action et que les tendances fortes de notre personnalité, même si elles sont réactives à des traumatismes personnels, restent ancrées en nous à travers les années. Toutefois, je peux peut-être devenir capable d'habiter mon être intérieur de paix et de plaisir, sans le laisser phagocyter par l'angoisse et les mauvais souvenirs, ni par l'activisme et les projets. Si petit que soit l'espace que je suis capable de vouer à cette paix-là, il est déjà tellement inoui de découvrir qu'un tel espace existe en moi et que je peux, même pour de rares instants privilégiés, en protéger l'existence.

 

 

Publié dans Vivre au bord

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