Des vêtements pour panser nos blessures

Publié le par Plume

Ca y est, ce sont les soldes!  Dans les semaines qui précèdent, j'ai effectué quelques repérages dans mes boutiques préférées, et j'ai aussi commencé à établir la liste de mes besoins vestimentaires. Pour cette année, il me faut un pantalon noir et un pantalon brun, une sur-robe qui devrait aller à la fois avec du gris et avec du brun, une écharpe rouge sombre, et un sur-pull brun avec des manches au coude.

Une fois passée la frénésie des premiers jours de soldes, je vais dans les boutiques que j'aime, à l'affut des vêtements qui vont correspondre à mes attentes. Pourtant ... ce que je trouve, et qui me plait, et me convient, correspond rarement à ce que j'avais planifié. Cette année, c'est un pantalon d'un rouge éclatant qui a remplacé le pantalon brun que je cherchais. Pas d'écharpe rouge en vue mais une superbe robe longue, rouge aussi, avec laquelle je crée des harmonies rouge-bleu ou rouge-noir.

Pour qu'un vêtement me plaise, plusieurs critères entrent en ligne de compte. D'abord la douceur avec laquelle il touche mon corps. Je n'aime ni les vêtements qui grattent, ni les vêtements qui pincent , ni les vêtements qui serrent et donnent la sensation d'étouffer. Je n'aime pas non plus les vêtement qui flottent, tellement loin de moi que c'est comme s'ils me laissaient seule, toute seule dans ce corps-là.

J'aime les vêtements qui m'accompagnent: ils touchent ma peau avec douceur, ils me laissent libre de mes mouvements mais ils sont proches. Ils ne cachent pas les rondeurs et les imperfections de mon corps: ils les enrobent et ils les revendiquent. C'est comme s'ils disaient de moi "Oui, elle est là, et avec ce corps-là.
On n'est pas là pour tricher sur son corps ou pour lui en inventer un autre, sous prétexte qu'il ne vous plait peut-être pas. Nous on la protège et on la rend belle, avec ce corps-là. "



Une des grandes difficultés d'après la maltraitance est le corps, et donc forcément le vêtement, qui touche et qui habille ce corps.

Le drame est d'avoir été battu, violé, humilié dans son corps ... mais c'est avec ce corps-là, le même exactement qui a subi toutes ces choses qu'il va falloir continuer à vivre. On ne peut pas rapporter son corps au magasin et dire au vendeur "Ecoutez, celui-ci a emmagasiné trop de souvenirs douloureux et tristes. Donnez-moi en un nouveau, un corps léger et paisible, un corps radieux fait pour le bonheur et les journées d'été." Non, il faut garder celui-là, avec ses blessures, avec ses souvenirs terribles, avec ses larmes qu'il a du mal à ravaler.

Alors ce corps blessé avec lequel il faut continuer à vivre, il va falloir le protéger, le consoler de tout ce qu'il a vécu. Et les vêtements vont servir à ça. Quand j'avais entre 16 et 20 ans, mes vêtements servaient essentiellement à me protéger de tout risque de viol et d'intrusion masculine. Je portais des pulls à col roulé bien fermés par une écharpe doublement nouée, surmontés d'une veste fermée par trois épaisseurs de tirette, boutons, puis à nouveau tirette, le tout long jusqu'aux chevilles, elles-mêmes fermées par des bottinnes hautes à lacets.

Vue de l'extérieur, je donnais l'impression d'un gros sac bien fermé et plutôt impénétrable. Une de mes amies appelait ça "Ma mode sac". Elle disait que c'était un langage bien à moi mais sans doute universellement compréhensible pour faire entendre que je n'étais pas disponible pour des rapports de séduction amoureuse. Je crois surtout que cette façon de me vêtir était une façon personnelle de dire que la priorité du moment était de panser mes blessures à l'intérieur de ce corps fermé comme une forteresse.

Par la suite, j'ai découvert d'autres façons de me vêtir. J'ai été très attirée par la douceur et la chaleur. J'ai découvert la laine et le coton dont je passais mon temps à m'enrober. Un vêtement était beau quand il me donnait chaud, quand il posait sur mon corps une fine enveloppe de douceur qui le protégeait et le consolait à la fois. Je crois fermement à ce soin du corps par le vêtement. Le corps blessé trouve ainsi des enveloppes superficielles qui le réparent émotionnellement et symboliquement de ce qu'il a subi. Le corps se soigne en s'enrobant d'étoffes protectrices et réparatrices. Cela peut durer de longues années.

Après, grâce aux hommes de ma vie, j'ai découvert le désir et le plaisir de plaire. J'ai aimé porter des vêtements qui racontaient mon plaisir de plaire et d'être aimée. C'était comme une fête, du sexy et du décolleté, du noir et du transparent. En dessous d'un grand manteau noir qui me permettait de garder pour le seul et l'unique, ce que je découvrais avec lui.

Plus tard encore, les couleurs ont éclaté à mes yeux comme autant de messages dont je pouvais habiller mon corps: le rouge-regardez-moi, le jaune-chant-de-bonheur, le blanc-si-serein, ... comment choisir? A chaque jour, à chaque heure, je trouve le vêtement qui correspond à mes besoins. Quand j'ai besoin de me replier, je retourne pour un jour ou un weekend à ma mode-sac, mais le plus souvent, j'aime trouver un ensemble, de la matière qui protège à la couleur qui parle, un ensemble qui protège ma blessure et me donne à exister dans le monde.

Car, au fond, les vêtements, c'est ça: une interface simple, souple, fine et solide à la fois, qui nous permet d'être dans le monde des humains, comme n'importe quel humain.




Publié dans Vivre au bord

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