Pourquoi ce blog?

Publié le par Plume

Vivre après l'inceste et la maltraitance. C'est le lot d'un certain nombre de gens, dont moi.

Je n'ai pas envie d'en parler de façon larmoyante et éplorée. Je n'ai pas envie de donner dans le mélo baveux que je retrouve souvent sur les sites et auprès des personnes abonnées à ces questions. L'inceste est un drame, la maltraitance en est un également et, voulant conscientiser à tour de bras tous ceux qui ne "savent pas", on en vient à nier une chose qui à moi me paraît évidente: on vit, après un drame, on vit vraiment.

Je veux dire on a un métier, des collègues, des amis, des proches, certains ont même une famille et des enfants... une vie qui ressemble en tous points à celle de tout le monde, sauf qu'il y a ça: ce passé-là, ce poids derrière, si léger et si lourd, avec lequel il faut faire. Chaque jour.

Pourquoi en parler?

J'ai longtemps hésité à créer ce blog. Pourquoi en parler en effet lorsqu'on s'est tant battu pour minimiser cette lézarde qui nous différencie des autres?  Précisément pour ça.  On a dû dépenser beaucoup de temps et d'énergie pour maîtriser ce passé-là, pour apprendre à vivre avec les séquelles, pour ne pas se laisser envahir ni envahir notre entourage par les traces de notre histoire... et il vient un jour où on se sent terriblement intégré et tellement méconnu.

Je me rappelle d'une camarade d'études, pas du tout au courant de mon parcours personnel, s'étant écriée devant mon apparent équilibre personnel: "En tout cas, c'est certain que toi, tu ne sais pas ce que c'est que la maltraitance!". Que répondre? Car il semble effectivement que seuls ceux qui ne se sont pas sortis de la souffrance se permettent d'en parler: si on en parle, c'est qu'on ne s'en est pas sorti et si on n'en parle pas, c'est qu'on n'a pas vraiment souffert. Quelle place reste-t-il alors pour un autre discours?

Le silence de ceux qui s'en sortent

Le problème étant aussi que ceux qui s'en sortent n'ont pas envie d'en parler. En ce qui me concerne, j'ai fui comme la peste les groupes de paroles pour victimes d'inceste, les forums traitant du sujet, et tout ce qui pouvait me mettre en contact de façon trop proche avec ce monde d'où je viens. D'une part, je considérais que partager un passé ne suffisait pas à me rendre proche de ceux qui avaient vécu ce même type d'expérience; d'autre part, je souhaitais me donner une certaine légèreté pour construire ma vie dans un univers et avec un entourage pour qui ce passé-là n'était pas le centre de tout.

Il y a aussi tout un discours social qui provoque le silence: "Les enfants maltraités deviennent tous des parents maltraitants", entend-on. Alors on se tait sur son passé d'enfant maltraité pour ne pas avoir à subir ce soupçon constant sur la façon dont nous traitons nos enfants. Sans compter le regard empli de pitié envers la "pauvre victime" que nous sommes: "Oh, comme tu as dû souffrir!". Ce regard fatigue ceux qui se sont trop battus pour avoir besoin de pitié. Alors on se tait parce qu'on sait que le courage qui nous anime est passé sous silence et de toutes façons mal compris.

Le besoin de se réapproprier un discours

Mais finalement à force de se taire, on fini par se priver d'une parole juste sur ce qui nous est arrivé, et on fini par laisser le discours sur la maltraitance et l'inceste à tous ceux qui croient qu'ils ont beaucoup à dire parce qu'ils jugent et qu'ils n'ont pas vécu.

Mon souhait de faire ce blog vient du désir de lire enfin des paroles justes écrites sur la vie après la maltraitance et l'inceste. Du souhait aussi que ces paroles, pour une fois, ne viennent pas de spécialistes en charge de nous comprendre et de nous défendre mais de personnes qui ont un savoir intime de ces choses.

Publié dans Présentation

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article