Comme les autres ...

Publié le par Plume

Ce dimanche, je me décide à faire le plein de fleurs et plantes pour embellir ma terrasse. Je me rends pour cela à l'autre bout de la ville dans une jardinerie qui a la particularité d'être une entreprise de travail adapté, proposant des emplois à des travailleurs porteurs d'un handicap.

Une fois sur place, je me rends compte que le lieu n'est pas seulement une jardinerie mais propose aussi une ferme et un espace animations pour les visiteurs. Je passe l'après-midi sur place tant le lieu est convivial et chaleureux. Ce qui est particulièrement agréable, c'est que dans cet endroit, des personnes handicapées ou non se cotoient et chacun semble pouvoir avoir sa place, sans aucun jugement de valeur.

L'ambiance est tolérante et bon enfant à la fois. La question de la normalité, qui nous est si cruellement et si souvent rappelée dans la vie courante, semble n'avoir pas droit de cité ici. Chacun, qui qu'il soit, est bienvenu tel qu'il est. On se sent bien. On a envie de rester.

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Quel qu'ait été mon âge, j'ai toujours caressé le même inaccessible rêve: être"normale", être "comme les autres". La question ne se posait pas pour moi de tout ce que la norme recèle de conformisme et de pression sociale. J'ai passé ma vie à me comparer aux autres et à souffrir de ne pas leur ressembler.

Cette différence, elle m'a toujours renvoyée, quoique d'une façon différente selon les périodes de ma vie, à la question de la maltraitance. Enfant, j'étais convaincue que si j'étais différente des autres, je valais forcément moins qu'eux. Bien sûr, ce moins justifiait de toute évidence le manque d'amour de mes parents et la façon dont ils me traitaient. J'étais convaincue que mes amies plus insouciantes et plus extraverties méritaient tellement mieux que moi d'être l'objet de l'affection de leur entourage.

Je croyais naïvement que si je devenais "comme les autres", les mauvais traitements allaient cesser. J'ai donc mené durant toute mon enfance un combat éprouvant pour devenir cette enfant idéale, tellement plus apte selon moi à rendre son entourage heureux, et partant, tellement plus digne d'exister. Je me suis imposé une discipline de fer: je me voulais parfaite dans ma scolarité, j'avais de nombreuses activités extra-scolaires malgré ma timidité car je voulais devenir sociable et extravertie, je cherchais à être d'une fiabilité sans faille à l'égard de ma famille et de mes amis...

Malheureusement, j'éprouvais en permanence le sentiment d'échouer. Je n'ai compris que bien plus tard que mes parents m'auraient haïe et maltraitée quelle qu'ait pu être ma personnalité: ce que j'étais n'était qu'un prétexte à leur méchanceté. Pour les autres adultes de mon entourage, j'étais une enfant charmante. Pourtant, j'étais incapable de prendre en compte leur avis et j'ai dépensé une énergie considérable dans cet effort à devenir "normale". 

On aurait pu espérer que l'âge adulte et le soutien des thérapies m'amènent à prendre un peu de recul et à me détendre, mais la question de la normalité a alors pris une autre forme. Adulte, j'ai réalisé que ce passé de maltraitance ne me laisserait pas sans séquelles. Non seulement, j'avais souffert enfant, mais cette souffrance allait laisser des traces qui allaient me poursuivre comme un handicap durant toute ma vie d'adulte. "Ça" ne s'arrêtait pas avec l'enfance et les mauvais traitements. Je prenais soudainement conscience que je ne serais jamais "normale", je ne serais jamais "comme les autres".

J'ai éprouvé alors une insurmontable colère contre la vie et contre l'injustice de ce que j'avais subi. Je me refusais à admettre que mon passé aurait raison de moi. Dès lors, j'ai continué à lutter pour mener, malgré les séquelles, cette fameuse "vie normale" à laquelle j'estimais avoir droit. Avoir droit "comme les autres" au plaisir sexuel, malgré les souvenirs de viols qui hantaient ma tête et mon corps; avoir droit à une vie affective avec un compagnon et des enfants autour de moi, malgré la terreur qui me reste des relations trop proches; avoir droit à un métier qui me valorise, malgré les vieux démons qui me poussent à vivre dans l'ombre... Ce sont de lourds combats que j'ai endossés-là.

J'ai dépensé une énergie énorme pour conquérir des chances que la vie ne m'avait pas données au départ. Sans aucun doute ma combativité m'a donné l'occasion de vivre mieux et de vivre plus que ce qui est habituellement le lot des anciennes victimes... Mais le combat a été rude, et il l'est toujours. C'est bon de découvrir qu'il est possible quelquefois d'être bien tel que l'on est, sans avoir rien à prouver, sans devoir expliquer ou se défendre...

Publié dans Vivre au bord

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